La préservation et l’accès public de la maison et du parc Raspail sont redevables du don qui en a été fait en 1899 au département de la Seine par son occupant Benjamin Raspail (1823-1899). Ce fils aîné de François-Vincent Raspail avait acquis cette propriété en 1862 pour accueillir son père de retour d’exil durant le Second Empire. Député entre 1848 et 1851, puis entre 1876 et 1899, Benjamin est aussi conseiller général de la Seine de 1873 à 1899. Il a été également été maire par intérim d’Arcueil-Cachan en 1874. Toute sa vie, il a partagé les combats de son père pour la transformation sociale en faveur des plus démunis et pour la consolidation de la République.
Graveur et artiste peintre de profession, Benjamin Raspail peint essentiellement des paysages et des natures mortes. Il illustre également les ouvrages de son père, dont il dessine les planches sur cuivre et les lithographies. Benjamin Raspail a été également un grand collectionneur de peintures, dont la Ville de Cachan détient encore quelques exemplaires. En 1863, il devient directeur de la maison d’édition familiale.
Amputé d’une jambe à 18 ans, Benjamin Raspail a participé de façon infatigable aux combats de son père contre la monarchie avant 1848 et le Second Empire après 1851, pour l’avènement d’une République démocratique et sociale. Sous la Seconde République (1848-1851), il vote contre la loi Falloux sur l’enseignement religieux, défend le suffrage universel, et dénonce la dérive présidentielle d’une République qu’il voulait collégiale et coopérative. Il s’oppose au coup d’État du président Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, qui mène au Second Empire. Sa résistance lui vaut un exil, qu’il partage avec son père, en Belgique pendant 9 ans. C’est de retour d’exil qu’il s’installe à Cachan en 1862.
Député de la Troisième République, il est à l’initiative de plusieurs lois qui consolident le régime républicain et la laïcité. Favorable à l’amnistie des Communards et à l’indemnisation des exilés du Second Empire, il réclame l’abolition de la peine de mort, défend la liberté de la presse, propose le droit illimité de réunion, la séparation de l’Eglise et de l’État (qui sera votée en 1905), et fait voter, en 1880, la loi sur la fête nationale du 14 juillet. Plus tard, il propose de vendre les bijoux de l’ancienne famille royale pour financer la création d’une caisse des invalides du travail et d’une caisse des musées de l’État. Il imagine également des dispositions pour éviter la collusion d’intérêt entre les hommes politiques et les grands groupes industriels. Il dénonce l’expansion coloniale dont il refuse de voter les crédits qui financent les expéditions. Enfin, il n’a eu de cesse de défendre la méthode médicinale de son père, jusqu’à entrer en conflit avec Pasteur, pour lequel il refuse de voter une gratification de 300 000 francs pour services rendus à la nation.
Au niveau local, Benjamin Raspail a œuvré pour le bien commun dans le département de la Seine, et aux côté de son frère Émile, mairie d’Arcueil-Cachan entre 1878 et 1887, il a lutté contre les pollutions industrielles et en faveur de l’assainissement de la Bièvre. Son legs (maison, parcs, papiers, meubles) au département de la Seine, en 1899, témoigne de son attachement pour le service public et l’action locale.
Exilé lui-même, Benjamin Raspail a entretenu une correspondance importante avec d’autres exilés politiques. Selon Michel Vidal, doctorant à l’université Paris-Est-Créteil sur cette correspondance, « Les Raspail ne peuvent être évoqués sans parler de leur stature de martyr politique persécutés et obligés de s’exiler très tôt. (…) et l’exil forcé du patriarche (François-Vincent) a renoué des liens très forts entre les membres de la famille en ayant à l’esprit la mort de la mère en 1853 ». Nous reproduisons ci-dessous un exemple de lettre d’un ancien exilé au député et conseiller général Benjamin Raspail au moment où se débat la question des indemnités accordées par la République aux victimes du Second Empire.
29 mai 1881
Lettre de Lefevre au citoyen Benjamin Raspail, Représentant du peuple, pour le département de la Seine[1].
« Citoyen,
Vous devez avoir souvenance d’un nommé Lefevre, marchand de vins en gros et en détail, à Issy (Seine) en 1851, au moment du coup d’Etat. A cette époque, précipitée, j’étais votre ami ainsi que celui de votre famille, après mes adversités, je n’ai plus guère conservé de relations qu’avec votre frère Camille, qui m’a été sérieusement utile pendant la maladie de mon fils Victor, que le 31ème régiment d’artillerie m’avait renvoyé désemparé.
Enfin, après le coup d’état, les commissions mixtes me condamnèrent à mort (par contumace), je fuyais en Suisse, plus tard par une gracienteté de Napoléon III, ma peine fut commuée en 10 années de déportation (en plus) à Cayenne. Ensuite, l’Auguste souverain continua à me combler de ses bienfaits ; il fit fermer mes établissements, je fus ruiné, pendant les cinq ans que je passais en exil.
Mais comme à l’étranger, je remuais beaucoup, les satellites de l’astre nébuleux, tombé sur la France, voulurent m’avoir plus près d’eux. C’est à ce titre que je fus compris dans une prétendue amnistie mais les sbires de la police, violaient mon domicile quand cela leur plaisait pour perquisitionner. Et j’étais sous la surveillance de ces défenseurs de l’ordre, de la propriété.
Aujourd’hui, Citoyen, je viens demander un service : voulez-vous me faire l’amitié de me recommander à un des membres de la commission chargée d’examiner la loi sur les indemnités à accorder aux victimes du 2/12/1851. Je connais la générosité des hommes de l’Empire et comme il y en a encore beaucoup qui ont voix délibérative sous notre titre République, je crains maintenant de connaître leur mesquinerie en ma faveur. C’est mon ami E. Delattre, qui m’a assuré ce matin que votre démarche serait d’un grand poids dans la balance des indemnités.
Je parle à un homme de cœur, aussi je suis moralement persuadé que vous ferez, Citoyen, ce qui vous est humainement possible pour le triomphe de mes droits.
Citoyen représentant, je vous serre fraternellement la main et me déclare votre bien dévoué.
Lefevre fils, Claude Marie
Né à Issy (Seine), le 16/09/1822, demeurant actuellement, 157 rue St Jacques, Paris. »
[1] Archives départementales du Val-de-Marne, 69 J, Fonds Raspail.