Le 22 mars 1720, Germain Boffrand, « architecte du roy et de son académie royale » acquiert « une maison cour jardin et dépendances seise [sic] au village de Cachant [sic] près Arceüil [sic] et dix arpents trois quartiers de terre seise [sic] audit lieu et ses environs » [1]. Une tradition non vérifiée voudrait que cette propriété soit celle qui est devenue le parc Raspail [2]. Quels sont les éléments permettant d’étayer cette hypothèse ?


Portrait de Germain Boffrand par Adam l’Aîné

Le Mercure de France daté du 1er décembre 1725 relate : « Mr Boffrand, Architecte du Roi, & Inspecteur des Ponts et Chaussées du Royaume, a fait en sa maison, à Cachant, près d’Arcüeil, une Machine, qui par l’opération du feu élève une très grande quantité d’eau. » [3]. En novembre 1916, une communication faite auprès de la Commission du Vieux Paris par l’historien d’art Henry Lemonnier, et citée par Marcel Breillot dans un article des Chroniques du Val de Bièvre [4], reprend un rapport de l’Académie royale d’Architecture du 4 février 1726 mentionnant que « MM. de Cotte ont présenté à l’Académie leur raport [sic] d’une machine exécutée en grand à Cachan (…) que M. Boffran [sic] a fait faire pour élever de l’eau par le moyen du feu » [5]. Cette machine construite à Cachan par Boffrand était un prototype de la machine de Savery, du nom de son inventeur anglais à la fin du XVIIème siècle, et fut utilisé comme démonstrateur [6]. Rapidement concurrencée par une autre « machine à feu », la machine de Newcomen, elle n’en reste pas moins le premier prototype de machine à vapeur installé en France.

À partir d’une inscription sur un plan du parc Raspail datant du XIXème siècle indiquant la présence d’une machine élévatoire et d’un grand réservoir, Marcel Breillot en identifiait les restes, encore visibles aujourd’hui, entre l’Orangerie et la sortie nord-est du parc [7].


La machine de type Savery installée par Boffrand dans sa
propriété de Cachan. Planche gravée initialement dans le Recueil
des machines approuvées par l’académie Royale des sciences.

Sur la présence de Boffrand dans sa propriété de Cachan (sa résidence principale étant à Paris), on sait peu de choses. Dans une correspondance, datant de 1927, avec l’écrivain et historien Paul Jarry, qui rédige alors un ouvrage sur les maisons de plaisance du XVIIème et XVIIIème siècles autour de Paris [8], Léon-Louis Veyssière, secrétaire de la Société des Amis du Vieil Arcueil, et futur auteur d’une monographie sur Arcueil et Cachan [9] indique : «  il est à supposer que les séjours de Boffrand à Cachan devaient être accidentels car les registres paroissiaux n’en font aucune mention alors que généralement les personnages de quelque importance y sont souvent cités, soit comme parrains, soit pour toute autre cause » [10]. Et ailleurs : « J’ai bien en mains des notes de Mr Regamey qui apportent quelques autres petits renseignements mais monsieur Regamey m’ayant demandé de ne point publier ces notes, je ne puis vous les communiquer. » [11]. L’article de l’Encyclopédie Universalis consacré à Raymond Regamey, prêtre dominicain et historien de l’art, précise : « Il suivait aussi les cours de l’École du Louvre, mais il ne put mener à bien sa thèse sur l’architecte Germain Boffrand, car, étant devenu soutien de famille, il dut travailler » [12]. Nul doute que les notes évoquées par L.-L. Veyssière avaient été établies dans le cadre de cette thèse inachevée, et sont donc selon toute probabilité aujourd’hui perdues…

Quant à la maison achetée par Boffrand, que savons-nous ? Dans une supplique adressée en avril 1720 au lieutenant général de la ville de Paris, Jérôme d’Argouges, Boffrand explique que « dans [cette] maison bastiments et dépendances il y a plusieurs réparations très urgentes et nécessaires à faire pour en empescher la ruine dépérissement et danger et comme (…) [je] ne veux rien y faire faire que par authorité de justice et estre en estat de [me] faire rembourser [j’ai] recours à vous » [13]. Maison en très mauvais état donc, qui aura fait l’objet de réparations importantes, ou, peut-être, aura été détruite pour être totalement reconstruite ? Léon-Louis Veyssière, dans sa correspondance avec Paul Jarry, indique, au sujet de la Maison Raspail : « Je n’ai aucune précision sur l’époque à laquelle les bâtiments actuels ont été construits. Ils ont été l’objet de multiples réparations et transformations, ce qui rend assez difficile l’assignation à une époque de construction. Toutefois, Templier, que je viens de consulter, estime que ces constructions, doivent être du milieu du XVIIème siècle » [14]. Alexandre Templier, architecte, maire d’Arcueil, membre fondateur des Amis du Vieil Arcueil, est aussi à l’époque membre de la Commission du Vieux Paris. L’époque de construction qu’il avance ici surprend, tant l’architecture de la maison que nous connaissons semble plutôt correspondre à celle des demeures de plaisance du milieu du XVIIIème siècle [15]. Dans les notes préparatoires à son ouvrage, Paul Jarry indique d’ailleurs au sujet de la maison Raspail : « sur cour, pavillon Louis XVI, avec perron, vestibule à pilastres, grand salon avec mobilier style Empire, salle de billard (ajoutée), décoration directoire à pans coupés, façade sur jardin » [16].


L’hospice Raspail en 1928. « La guirlande de Paris »,
P. Jarry

On le voit, peu d’éléments semblent finalement pouvoir être avancés pour étayer de manière non discutable l’hypothèse que l’actuel parc Raspail fut autrefois la propriété de l’architecte Germain Boffrand. Si l’on admet que les vestiges retrouvés dans le parc sont bien ceux de sa machine élévatrice, la maison, elle, garde pour l’instant le mystère de sa construction.

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Références

[1] Archives nationales, Z1j / 542, Chambre et greffiers des bâtiments. Procès-

verbaux d’expertise sous la Régence.

[2] https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA94000382

[3] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3750496x/f204.image.r=boffrand?rk=21459;2

[4] M. Breillot, « Une innovation à Cachan au début du XVIIIe siècle », Les Chroniques du Val-de-Bièvre, n° 98, 2018, p. 3-6.

[5] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5623675q/f328.item.r=cachan

[6] https://journals.openedition.org/ephaistos/2510?lang=fr

[7] M. Breillot, art. cit.

[8] P. Jarry, « La guirlande de Paris ou Maisons de Plaisance des Environs, au XVIIe et au XVIIIe siècle », Ed. F. Contet, Paris, 1928.

[9] L.-L. Veyssière, Un village et un hameau du Hurepoix, deux commune du département de la Seine, Arcueil et Cachan : essai de monographie, Les Amis du vieil Arcueil, 1947.

[10] Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 4-MS-363, P. Jarry, Notes et textes sur des localités extérieures à Paris, Fonds Jarry.

[11] Ibid.

[12] https://www.universalis.fr/encyclopedie/raymond-regamey/

[13] Archives nationales, Z1j / 542, Chambre et greffiers des bâtiments. Procès-

verbaux d’expertise sous la Régence.

[14] P. Jarry, op. cit.

[15] https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA94000382

[16] P. Jarry, op. cit.