La Maison Raspail, souvent dénommée le « château Raspail », est une ancienne villégiature aristocratique (ou bourgeoise, le nom du premier résidant n’étant pas connu) du XVIIIe siècle, à la mode des « folies », dont le corps de bâtiment principal a probablement été construit entre 1750 et 1789. Une étude des parties basses du bâti et des caves, conjointe à d’autres sources, montre que la demeure a pris appui sur un bâtiment plus ancien, sans doute une capitainerie de chasse.
© Patricia Bleton – Centre de Recherches Historiques
Au XVIe siècle, la propriété aurait été occupée par le capitaine Guérin de la Coustancière : c’est alors un relais pour les chasses royales, au sein de la seigneurie de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Henri IV, qui a inauguré le célèbre aqueduc Médicis, à quelques centaines de mètres, et Louis XIII auraient été familiers du site. Sous Louis XIV, la propriété, une grande maison, est habitée par le sieur Baillet[1]. C’est peut-être là que l’ingénieur et architecte du roi Germain Boffrand a construit les premières machines à vapeur française dans le but de pomper l’eau de la Bièvre pour assurer l’approvisionnement en eau du parc pour les bassins et les fontaines[2].
En l’état actuel des recherches, il n’est pas possible de dater précisément la construction actuelle, mais un plan de 1763[3] figure une bâtisse dont la forme et l’emplacement sont très similaires à la maison que nous connaissons. Dans l’attente d’investigations plus poussées, le doute est toutefois permis. Puisque la maison est attestée dans sa forme actuelle par une annonce de mise en vente en 1800[4], et qu’il est tout à fait exclu qu’elle ait été construite durant la décennie révolutionnaire, il est au moins assuré qu’elle date d’avant la Révolution française.
Le bâtiment du XVIIIe siècle a très peu été modifié. Il est constitué d’un corps principal en pierre de taille, noble, de près de trente mètres de long sur huit de large, élevé de trois niveaux, le dernier étant sous comble. L’ensemble présente une symétrie parfaite. Sa façade Ouest donne sur le parc : de part et d’autre d’une entrée se distribuent de façon harmonieuse huit croisées de grande hauteur, quatre de chaque côté, deux par pièce. À l’étage, neuf croisées s’alignent sur cet agencement du rez-de-chaussée. Le troisième niveau, sous comble, est coiffé par une couverture en ardoise (de nos jours incluant la présence de huit petites fenêtres de toit). Cette façade est rythmée par six pilastres et un fronton au-dessus de l’entrée centrale, ce qui lui donne un aspect monumental et lui a sans doute conféré le terme impropre de « château » au fil du temps.
Côté Est, ouvert sur la ville, la structure est similaire, à ceci près que la cour étant en léger contrebas, l’accès central se fait par un escalier en pierre, qui forme un perron, et que seuls deux pilastres encadrent l’entrée de chaque côté de l’escalier. Par ailleurs, sur l’emprise des deux travées extrêmes, deux corps de bâtiments de qualité plus commune, sur deux niveaux, forment deux ailes perpendiculaires non symétriques qui ferment la cour sur deux côtés. La structure et l’orientation de l’ensemble font penser au château de Versailles, ce qui se renforce avec un parc à l’Ouest qu’il faut imaginer rempli de bassins, des canaux et de fontaines au XVIIIe siècle.
Entre 1801 et 1804, sous le Consulat, le banquier Artaud, nouveau propriétaire, fait construire une pièce supplémentaire en prolongement du bâtiment principal au Sud. D’un seul niveau mais de grande hauteur sous plafond, cette pièce se termine par une abside ouverte par trois croisées sur le parc. Deux entrées, l’une à l’Ouest, l’autre à l’Est, parachèvent l’insertion de cette extension sur le jardin. Espace de repos et de plaisance, tel un jardin d’hiver, cette nouvelle bâtisse étend la façade principale jusqu’à 38 mètres, et est dénommée ensuite la « salle du billard ». Plus tard, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, une orangerie est construite le long de la cette salle, côté Est, et comble un renfoncement entre celle-ci et l’aile en retour du côté Sud.
D’un point de vue fonctionnel, le rez-de-chaussée est dévolu aux pièces à vivre. De part et d’autre du vestibule d’entrée, respectivement deux pièces d’environ 40 m2 accueillent salles à manger, boudoirs et salons. L’une des pièces est plus petite, réduite par l’emprise d’un bel escalier latéral au hall. Chacune des pièces s’ouvrent par deux croisées sur le parc, tandis que sur la cour, les deux pièces extrêmes, sur lesquelles s’adossent les deux ailes Nord et Sud, n’ont pas de fenêtres. À l’étage se distribuent cinq chambres, de 40 m2 environ, sauf l’une d’entre elle réduite elle aussi par l’emprise de l’escalier. Mais à part la chambre centrale, qui n’en possède qu’une, toutes ont deux fenêtres donnant sur le parc. Le couloir de desserte se situe côté Est et donne sur la cour. Le comble était, quant à lui, dévolu aux chambres des domestiques. Les salles des deux bâtiments des ailes encadrant la cour sont beaucoup plus petites et accueillent la cuisine, l’écurie, la blanchisserie, des chambres d’amis, peut-être aussi le logement d’un gardien, ainsi que tout ce qui peut servir à la logistique et au fonctionnement de la maison.
Cette organisation perdure tout au long du XIXe siècle et n’a pas été modifiée par les occupants successifs : après Artaud, le maire d’Arcueil-Cachan, Armand Colmet, puis la famille Raspail entre 1862 et 1899. La cession de la propriété en 1899 décrit l’organisation de l’ensemble :
« Rez-de-chaussée élevé sur des magnifiques caves, cour d’honneur avec perron et vases en marbre. Grand vestibule Louis XVI, grande salle à manger, grand et petits salons, boudoirs, bibliothèque, salle de billard (12 m sur 8 m) et rotonde de jeux. Au premier : cinq grandes chambres à coucher avec antichambre et cabinets de toilette, etc. Salle de bains, Water-closets au rez-de-chaussée et au premier. À l’étage supérieur, 10 chambres de domestiques, greniers. Sur la cour, deux ailes de bâtiments en retour, comprenant l’une : les cuisines, la buanderie, la lingerie, les remises, écurie pour 4 chevaux ; au premier, chambres et appartements d’amis[5]. »
Après 1900, la maison Raspail, désormais propriété du département de la Seine, devient un hospice pour personnes âgées. Les salles du rez-de-chaussée sont rénovées, mais ne sont pas modifiées dans leur structure. En revanche, les deux niveaux supérieurs sont transformés en dortoirs pour les pensionnaires. Cet hospice départemental fonctionne durant près de quatre-vingts ans, et accueille quelques dizaines de pensionnaires. Il ferme à la fin des années 1970, son existence n’étant plus compatible avec les normes d’accueil des personnes âgées, à une époque où la création de la Sécurité sociale, après la Seconde Guerre mondiale, étendait par ailleurs la solidarité à l’échelle du pays pour les retraités.
De nos jours, la maison et le parc appartiennent à la Ville de Cachan ; ils ont été rétrocédés en 2015 par le département du Val-de-Marne, qui en avait acquis la propriété et la gestion après le démembrement du département de la Seine à la fin des années 1960. Depuis la fermeture de l’hospice, le parc a été ouvert au public et constitue le plus grand jardin public de la commune, un poumon vert appréciable et fréquenté au cœur de la ville. Quant à la maison, elle est presque toujours inoccupée depuis 1980. Les deux niveaux supérieurs sont totalement inaccessibles au public, étant donné leur mauvais état intérieur, la difficulté d’accès et le manque de sorties de secours. Le rez-de-chaussée est lui, occupé occasionnellement par un club du 3e âge. Il a bénéficié de travaux de rénovation, sans toucher à la structure architecturale, qui ont permis sa certification aux normes ERP (établissement recevant du public), à l’exception de la bâtisse en abside Sud construite sous le Consulat, qui est en très mauvais état intérieur. Pour éviter qu’il ne se dégrade, l’ensemble a été viabilisé (fluides, mises hors d’eau, chauffage, électricité) en plusieurs vagues, dont la dernière date de la fin des années 2010. La cuisine fonctionne, mais n’est pas habilitée à servir des plats au public, faute d’homologation. L’aile Sud est occupée par le gardien et sa famille et par les services des parcs et jardins (bureaux et remises), tandis que l’aile Nord accueille le fonds de documentation et d’archives Henry Poulaille.
[1] Léon-Louis Veyssière, Un village et un hameau du Hurepoix, deux commune du département de la Seine, Arcueil et Cachan : essai de monographie, Les Amis du vieil Arcueil, 1947.
[2] Marcel Breillot, « Une innovation à Cachan au début du XVIIIe siècle », Les chroniques du Val-de-Bièvre, n° 98, 2018, p. 3-6.
[3] Archives nationales, NIII 587, prairie de Cachan, et NIV Seine 25, planche 4, plan terrier, 1763.
[4] Collection particulière, Annonce de mise en vente, 1800.
[5] Archives départementales du Val-de-Marne, 69J 1482 n° 8.