« Il n’est pas plus difficile de préparer un médicament que de préparer un aliment. De même que je veux que chacun devienne son propre médecin, de même je désire que chacun devienne son propre pharmacien » [1]. Si l’on en croit François-Vincent Raspail, dès la parution de son grand ouvrage Histoire de la santé et de la maladie en 1843, nombreuses sont les personnes qui apprennent à préparer « leur petite pharmacie » en suivant à la lettre ses recettes à base d’un petit nombre d’ingrédients peu onéreux et facilement trouvables, le plus fameux d’entre eux étant le camphre. Deux savants de ses amis, les Bréauté père et fils, demandent à cette époque à Raspail de leur envoyer dans une boite la collection complète de ses médicaments afin de pouvoir soigner les pauvres qui les entourent. Cela donne l’idée au fondateur de la « Nouvelle Méthode de Santé » de proposer une pharmacie de voyage, boite à compartiments, qu’il fait réaliser par son pharmacien M. Collas, un droguiste de la rue Dauphine à Paris.
« Les personnes riches se procurent notre pharmacie portative et de voyage, boite aussi élégante que commode, qui renferme la collection des médicaments que nous employons le plus fréquemment. Au moyen de ce droguet et de l’instruction qui l’accompagne, quelque accident qu’il arrive, et dans les campagnes qui n’ont à leur portée ni médecin ni pharmacien, les malades seront sûrs de ne jamais manquer des premiers secours que peut réclamer le plus impérieusement leur position » [2]. En 1858, à la suite de leur père alors en exil, ses deux fils Emile et Camille fondent la pharmacie complémentaire de la méthode Raspail, installée 14 rue du Temple, qui devient bientôt la droguerie complémentaire de la méthode Raspail, suite à leur condamnation pour exercice illégal de la pharmacie [3]. Les pharmacies portatives sont alors produites en deux tailles. « La boite de la grande pharmacie portative a quelquefois 46 centimètres de long sur 15 centimètres de large et 16 de hauteur (…). [Elle] peut entrer dans un porte-manteau et [n’a] rien à redouter des chocs et secousses du voyage. (…) Elle est fournie de tout ce qui rentre dans notre formulaire et dans notre mode d’opération et de pansement ; c’est le droguet complet et portatif de notre nouveau système » [4]. Véritable « boîte à outils » du malade, complément indispensable de la nouvelle méthode, elle contient dans sa version d’origine 22 médicaments (camphre à priser, cigarette à camphre, alcool camphré, pommade et huile camphrées, sirop de gomme camphré pour les enfants, eau sédative à base d’ammoniac, aloès, poudre de racine de garance et de fougère, etc.) [5]. « On y trouve, outre les médicaments en flacons, de la charpie, des bandes, seringues à injections, pinces pour saisir les artères, ciseaux mousses pour les pansements, etc., et une instruction pratique pour préparer la plupart des médicaments et les doser » [6]. Il s’agit bien en effet de pouvoir concocter soi-même l’ensemble des remèdes permettant de soigner la grande majorité des affections et de pratiquer une automédication suivant les préceptes de la nouvelle méthode. Car après tout, selon Raspail, « tout malade a le droit de se passer de médecin » ! [7]
Le collectif Maison Raspail exposera une de ces boites de grande taille, datée d’environ 1860 et en bon état de conservation, lors des journées du patrimoine 2023.
[1] François-Vincent Raspail, Manuel annuaire de la santé ou médecine et pharmacie domestiques, Paris, 1846, p. 46
[2] Ibid., p. 47
[3] Nicolas Sueur , « Les spécialités à base de camphre de Raspail », in Jonathan Barbier et Ludovic Frobert (dir.), Une imagination républicaine, François Vincent Raspail (1794-1878), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2017, p. 81-101. https://books.openedition.org/pufc/20747
[4] François-Vincent Raspail, Histoire naturelle de la santé et de la maladie, Paris, 1860 (3e édition), p. 46
[5] Bruno Bonnemain, « Les pharmacies portatives au XIXe siècle, à partir de l’exemple de celle de Reichard, Heinrich August Ottokar (1751- 1828), dans son Guide des voyageurs en Europe en 1805 », Revue d’histoire de la pharmacie, n° 387, 2015, p. 343-362.
[6] François-Vincent Raspail, Manuel annuaire de la santé ou médecine et pharmacie domestiques, Paris, 1846, p. 47
[7] François-Vincent Raspail, Revue élémentaire de médecine et de pharmacie domestiques, Paris, 1847, p. 9