Moulage de la tête de François-Vincent Raspail, collection Dumoutier, collections d’anthropologie biologique, Musée de l’Homme, MNHN, Paris, date indéterminée.

À quoi ressemblait François-Vincent Raspail ? Ses portraits, peints ou sculptés, ne manquent pas, notamment à partir de 1848 (il a alors près de 55 ans). Après son installation à Cachan en 1862 et son élection à la chambre des Députés en 1869, nous possédons de nombreuses représentations, dont des photographies, du savant républicain. Mais plus jeune ? Si l’on met de côté une miniature le représentant à 15 ans au séminaire d’Avignon [1], on ne recense guère que le portrait qu’en fait François-Vincent Latil en 1835, alors qu’il est le rédacteur en chef du Réformateur (tableau conservé dans la Maison Raspail), le tableau de Balthasar Charles Larpenteur qui le montre à la prison de Versailles en 1833, et deux lithographies de la même époque. Ces portraits de Raspail encore jeune, notamment celui de Latil, correspondent bien à la description de ses traits physiques tels qu’ils sont consignés dans le registre d’écrou de la prison de Sainte-Pélagie, daté du 2 août 1831 (il est incarcéré pour trois mois pour injures à la garde nationale) : taille de 175 cm, cheveux blonds, sourcils idem, front découvert, yeux gris-bleus, nez long, bouche moyenne, menton rond, visage ovale [2]. Raspail a alors 37 ans.


Registre d’écrou de la prison de Sainte-Pélagie à la date du 2 août 1831. Raspail a été condamné le 10 mai à 3 mois de prison pour injures à la garde nationale.

Portrait de François-Vincent Raspail, peinture à l’huile de François-Vincent Latil,1835, Maison Raspail, Cachan

Buste de François-Vincent Raspail, plâtre d’Antoine Étex, 1853, Musée Carnavalet, Paris


Nous sommes tombés par hasard, en consultant un exemplaire de l’ouvrage Raspail et la vulgarisation médicale [3], sur une lettre tapuscrite de Jean Théodoridès, parasitologue et historien des sciences biologiques et médicales (1926-1999), glissée entre deux pages, qui mentionne l’existence dans les collections d’anthropologie biologique du Musée de l’Homme à Paris, d’un moulage peu connu du visage de François-Vincent Raspail réalisé dans sa jeunesse et restituant ses traits d’une manière saisissante. Ce moulage, ajoute-t-il, appartient à la collection phrénologique de Dumoutier. De quoi s’agit-il ? Pierre Marie Alexandre Dumoutier (1797-1871) est un phrénologiste français qui, après des études de médecine et d’anatomie, découvre vers 1820 la théorie du physiologiste franco-allemand Franz Joseph Gall, selon laquelle les principaux traits de caractère d’un individu sont reflétés dans les bosses de son crâne [4]. Séduit par cette pseudo-théorie, la phrénologie, qui connaîtra une vogue aussi remarquable qu’éphémère (elle disparaît quasi complètement au tournant des années 1850 [5]), il invente une technique de moulage sur nature, capable de rendre de manière réaliste les traits des visages. Co-fondateur de la Société phrénologique vers 1831, il inaugure en 1836 à son domicile un « Musée de phrénologie », sorte de Musée Grévin avant l’heure, qui sert aussi de centre d’enseignement de la discipline [6]. On y trouve les têtes de savants, hommes politiques, personnalités, souvent libérales, qui se sont proposés ou ont été démarchés pour le moulage [7]. La collection s’enrichit par la suite de 51 bustes et 200 crânes indigènes de peuples de l’hémisphère austral, moulés entre 1837 et 1840 lors de l’expédition Dumont d’Urville de l’Astrolabe et de la Zélée, à laquelle Dumoutier participe en tant que préparateur d’anatomie et de phrénologie [8]. Cette expédition découvre, entre autres, la terre antarctique d’Adélie, nommée ainsi en l’honneur de la femme de Dumont d’Urville [9]. L’activité de Dumoutier en tant que phrénologiste diminue après son retour, dans la deuxième moitié des années 1840. Le musée ferme ses portes à la suite de graves problèmes financiers de son propriétaire. Dumoutier vend sa collection à son logeur, un certain Barbier, auprès duquel le Muséum l’acquiert en 1873 pour le reléguer dans ses réserves, avant qu’elle soit transférée au Musée de l’Homme. 133 crânes, 376 bustes, et 107 moulages de cerveaux constituent la collection Dumoutier, qui vient s’ajouter aux 221 bustes, 102 bustes et 31 moulages de cerveaux de la collection Gall. Cet ensemble forme la collection de phrénologie du Musée de l’Homme.

Vues du moulage du visage de F.-V. Raspail, Dumoutier n°120, collections d’anthropologie biologique, Musée de l’Homme, MNHN, Paris.

Nous avons contacté le Muséum et pu consulter le moulage de la tête de Raspail de la collection Dumoutier. En voici quelques photos. La précision du rendu des traits est frappante, même si le moulage se rapproche plus du masque mortuaire que de la statuaire. La technique a d’ailleurs heurté certains artistes de l’époque, comme le sculpteur David d’Angers : « La statue qui imiterait le plus exactement l’homme n’est que d’un bien faible intérêt, en face de la création de la nature. Voyez les figures moulées en plâtre sur nature, comme elles vous laissent froids, tandis que si cette représentation de l’homme a passé par l’âme de l’artiste votre cœur est ému. La nature moulée c’est la grammaire. La représentation par l’artiste c’est le style, le poème. Combien l’artiste est obligé d’accentuer les formes de la nature, pour tâcher de l’égaler » [10]. S’il ne s’agit pas d‘une œuvre d’art, elle nous donne néanmoins une idée précise de la physionomie de Raspail : on retrouve le front haut, le nez long et le menton rond notés lors de son écrou à Sainte-Pélagie. On y voit aussi nettement un renfoncement à la base du nez que l’on retrouve dans le buste d’Étex de 1853, ainsi que dans le tableau de Latil (cette particularité du visage de Raspail est d’ailleurs visible dans toutes ses représentations connues). De quand peut dater ce moulage ? Le Musée de l’Homme détient trois volumes manuscrits sous le titre de Collection d’anthropologie du Muséum dans lesquels Dumoutier a rassemblé une documentation biographique sur ses modèles [11]. Le premier tome, « Personnages célèbres » contient peut-être la date et des explications sur l’origine du moulage. Malheureusement, ce volume est en cours de numérisation, et actuellement indisponible à la consultation [12]. Nous en sommes donc réduits pour le moment à conjecturer l’époque probable de sa réalisation. Les traits ne sont plus ceux du jeune prisonnier du début des années 1830, mais ceux d’un homme dans la maturité. Pour autant, même si l’aspect figé du rendu qu’impose la technique du moulage tend à vieillir le sujet, il apparaît plus jeune que les portraits et bustes de 1848 et après. Il nous faut exclure la période de 1837 à 1840 pendant laquelle Dumoutier voyageait sur l’Astrolabe. Nous pouvons donc grossièrement conjecturer que le moulage a été réalisé, soit peu avant 1837, soit au début des années 1840. Raspail avait alors entre 40 et 45 ans. Nous en saurons sans doute plus quand le manuscrit de Dumoutier sera à nouveau consultable.

Références

[1] Gabrielle Raspail, La vie et l’œuvre scientifique de F.-V. Raspail, Paris, éd. Vigot, 1926.

[2] Prison de Sainte-Pélagie, répertoires et registres d’écrou, 1831, Archives de Paris, DY2Y13-18.

[3] Jacques Poirier et Claude Langlois, Raspail et la vulgarisation médicale, Paris, éd. Vrin, 1988.

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Marie_Alexandre_Dumoutier.

[5] Michael Hagner, Des cerveaux de génie : une histoire de la recherche sur les cerveaux d’élite, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2008, p. 93.

[6] Erwin H. Ackerknecht., « P.-M.-A. Dumoutier et la collection phrénologique du Musée de l’Homme », Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, X° Série, t. 7 fascicule 5-6, 1956, p. 289-308.

[7] Thierry Laugée, « Un Panthéon morbide : la naissance du Musée de la Société phrénologique de Paris », Études françaises, vol. 49, n° 3, 2013, p. 49.

[8] Erwin H. Ackerknecht, op. cit., p. 291.

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9dition_Dumont_d%27Urville.

[10] Pierre-Jean David d’Angers, Les carnets de David d’Angers, Paris, éd. André Bruel, Plon, 1958, t. 1, p. 53.

[11] Erwin H. Ackerknecht, op. cit., p. 289.

[12] Musée de l’Homme, communication privée.