Les récits prolétariens d’Henry Poulaille sont rythmés de chants que les personnages entonnent dans diverses situations de la vie : en manifestant, en célébrant des mariages, en arpentant Paris lors de rituels festifs, en travaillant – comme Henri Magneux dans son atelier dans Le Pain quotidien : « Lorsque les cheveux en bataille, l’œil souriant, Magneux sifflait L’Internationale, le Temps des Cerises ou la Carmagnole (tout son répertoire) en poussant la varlope, ou en maniant le compas ou le tire-ligne, rien ne comptait plus. Loulou l’admirait comme un Dieu, mais il n’était pas le seul » (Grasset, 1931).
Les soldats de la Grande Guerre chantent en marchant, au front, pour se donner de l’espoir. Les décors sont d’ailleurs décrits à travers leur univers sonore. Les rues sont animées par la voix des chanteurs ambulants et les succès de café-concert résonnent dans les débits de boisson. Des répertoires chansonniers très différents parcourent les textes, qu’ils soient populaires, révolutionnaires, grivois, militants ou militaires, ou sur le thème de Noël. Leur prégnance dans les romans et nouvelles de Poulaille n’est pas anecdotique lorsque l’on prend connaissance de la place importante qu’ils occupent dans l’ensemble de son œuvre d’écrivain et dans ses archives.
D’une part, Poulaille a été critique de disques dans la revue Monde dirigée par Henri Barbusse, dans les années 1920-1930, et co-auteur d’un essai sur la valeur pédagogique du disque (Le Disque à l’école, avec Charles Wolff, chez Valois, 1932). Il a aussi entrepris l’écriture d’anthologies. Certaines, qui portent sur la chanson d’amour, les chansons de la révolution de 1848 et les Noëls, ont été publiées à partir des années 1940. D’autres sont encore inédites et des brouillons et manuscrits inédits ont été retrouvés dans la maison Raspail : sur la chanson de tradition orale du Moyen Age au XXe siècle, les complaintes françaises, ou encore l’histoire de la chanson à Montmartre et au Quartier Latin. D’autre part, Poulaille a fabriqué et conservé une grande quantité de dossiers qui rassemblent des articles, des programmes de spectacles de cafés-concerts et de cabarets, des portraits d’artistes, et surtout bon nombre de partitions (manuscrites, dans des éditions de colportage, dans des revues musicales, des partitions illustrées par Steinlen et Balluriau découpées dans Gil Blas illustré, des partitions de succès du music-hall, des cabarets et des cafés-concerts).
La valeur de ces documents est inestimable et prouve que le fonds Poulaille est ouvert à bien d’autres disciplines et perspectives que l’étude de la littérature prolétarienne, puisque cette pratique de collecte de l’auteur s’inscrit dans son projet plus vaste de défense d’une culture prolétarienne. Ensuite, ses collections peuvent servir de sources à des historiens de la culture et la musique capables de retracer l’histoire de ces répertoires et des imprimés que sont les partitions. Enfin, Poulaille faisait la promotion d’une culture du peuple vivante, à travers ses travaux d’érudition et sa production romanesque. C’est alors à nous de rendre ses archives chansonnières vivantes, en imaginant des projets culturels et artistiques tels que des conférences sur les chansons populaires et politiques ainsi que des concerts. Le Collectif est ouvert à toutes les idées !