Illustration de la première expérience de Foucault. Extrait de l’Illustration, 5 avril 1851

« Vous êtes invités à venir voir tourner la Terre » ! [1] Si vous aviez été une Parisienne ou un Parisien curieux en ce début d’année 1851, une telle invite vous aurait peut-être poussé à vous rendre à l’Observatoire de Paris le 3 février, avec la promesse d’assister à un spectacle pour le moins étonnant. Mais si vous n’aviez pas pu faire partie du « petit nombre de spectateurs inquiets et intrigués » [2] ce jour-là, vous auriez pu participer à une nouvelle démonstration, organisée le 31 mars, à la demande du Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte, cette fois sous l’imposante coupole du Panthéon [3]. Ouverte à toutes et tous, et gratuite ! Vous n’auriez pas manqué l’expérience de M. Léon Foucault, qui « vous fait voir des yeux et toucher presque du doigt le mouvement de rotation de la Terre autour de son axe, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus simple et de plus naturel au monde ; mais, en même temps, tout ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus insaisissable. » [4]

Il est rare qu’une expérience scientifique connaisse auprès du public un engouement comparable à celui que suscita, et suscite encore, l’expérience de Foucault à l’aide de son fameux pendule. Pourtant, si le principe de l’expérience est simple, son interprétation n’est pas évidente, et nombreuses furent d’ailleurs les voix qui opposèrent à l’époque leur scepticisme à l’interprétation qu’en fit son auteur [5]. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Dans l’expérience de Foucault, un pendule constitué d’un câble (historiquement, une corde de piano fournie par la maison Pleyel ! [6]) et d’une boule pesante munie d’une pointe, est suspendu au plafond d’une pièce et écarté de sa position d’équilibre. Lâché sans vitesse initiale, le pendule se met à osciller sous l’action de la gravité, d’autant plus lentement que la longueur du câble est grande. Une épaisseur de sable est disposée sous le pendule, de sorte que la pointe dont est munie la boule y trace un sillon au cours de son mouvement. Au fur et à mesure des allers et retours du pendule, le plan dans lequel il oscille tourne autour de la verticale : ce déplacement se matérialise sous les yeux des spectateurs par la rotation des sillons laissés dans le sable. Au bout de quelques oscillations, il est nettement visible que le pendule ne pointe plus dans la direction initiale, mais dans une direction qui a tourné vers l’ouest du plan du méridien (c’est-à-dire du plan formé par la verticale du lieu et la direction des pôles géographiques de la Terre).


Au cours du temps, le plan d’oscillation du pendule semble tourner vers l’ouest. Schéma extrait de https://materialisme-dialectique.com/le-pendule-de-foucault/

Le plan d’oscillation a-t-il tourné ? En fait, le principe d’inertie, énoncé par Galilée, nous indique qu’un tel mouvement n’est pas possible : en l’absence de forces extérieures, un système perdure indéfiniment dans le mouvement qui l’anime. Or, a priori, aucune force, autre que la gravité, ne s’applique au pendule, et n’est donc susceptible de changer l’orientation de son plan d’oscillation (les frottements de l’air auront pour conséquence de ralentir, et finalement d’arrêter les oscillations du pendule, mais elles ne peuvent pas faire tourner leur plan). Ce plan doit donc rester fixe au cours du temps par rapport à l’espace (en pratique, par rapport à la direction d’étoiles distantes). Mais alors, si le plan d’oscillation n’a pas tourné, qui d’autre ? La Terre, bien sûr, qui est animée d’un mouvement de rotation d’ouest en est, autour de l’axe de ses pôles. Ainsi, si la Terre tourne vers l’est, le déplacement apparent du plan du pendule se fait vers l’ouest, ce qui est bien observé : le pendule de Foucault offre une preuve expérimentale de la rotation terrestre, qui n’avait pu jusqu’alors qu’être induite de l’observation du mouvement apparent des planètes ou des étoiles !

À l’époque de l’expérience de Foucault, François-Vincent Raspail purge à la citadelle de Doullens la peine d’emprisonnement à laquelle il a été condamné suite à sa participation à la journée révolutionnaire du 15 mai 1848. S’il est bien au courant de la réalisation de l’expérience, son « éloignement du grand théâtre des inventions et des expériences [lui a] imposé l’obligation d’attendre, avant de fixer [ses] idées sur ce point de la physique du globe, [de s’être] procuré toutes les pièces de ce grand débat » [7]. En février 1857, c’est chose faite, et depuis son exil Bruxellois, il publie dans sa Revue complémentaire des Sciences Appliquées une note dans laquelle il donne sa propre interprétation de l’expérience [8]. Celle-ci n’est pas favorable aux conclusions de Foucault. La critique de Raspail s’articule autour de deux objections, l’une de principe, l’autre scientifique, qu’il est intéressant de développer ici.

Sur le principe, Raspail dénonce la complexité du dispositif et de l’interprétation. Pour lui, le fait que Foucault, « voulant vaincre le scepticisme des personnes […] doutant encore », présente à l’Académie des Sciences, un an après l’expérience historique du pendule, un appareil prouvant la rotation de la Terre (il s’agit du gyroscope [8]), n’ajoute que de la complexité à un dispositif déjà « rien moins que compliqué ». De plus, la volonté de démontrer expérimentalement les mouvements de rotation et de révolution de la Terre relève d’une prétention inutile, et, pour tout dire, de lèse-Galilée (« E pur si muove » ) ! Fustigeant l’Église qui condamna le savant italien, il ajoute que « cet acte de barbarie ignorante ne saurait trouver l’ombre d’une excuse dans le moindre restant de doute qu’auraient pu laisser dans les esprits les démonstrations données dès cette époque par les Copernic et les Galilée ; car la démonstration du principe du mouvement de la Terre depuis lors n’a pas eu besoin de faire un pas de plus dans la conviction des mortels » [9]. Un autre point de l’interprétation de l’expérience de Foucault heurte profondément Raspail : l’idée qu’il soit possible, depuis la Terre, d’observer son mouvement, est contraire à son sens physique. Celui-ci est en effet imprégné du principe de relativité de Galilée : principe selon lequel il n’est pas possible de différencier deux systèmes en mouvement de translation uniforme (c’est-à-dire avec une vitesse relative constante) l’un par rapport à l’autre. Nous avons tous expérimenté la conséquence de ce principe : assis dans une rame de métro qui croise une autre rame, il nous est impossible, en l’absence de repère extérieur, de dire laquelle des deux rames est en mouvement. Ainsi, pour Raspail, « rien ne saurait rendre sensible aux habitants de la Terre le mouvement de translation de notre planète […]. On ne juge d’un déplacement que par des points de repère ; et les points de repère sont toujours hors du corps qui se meut. Les points de repère qui nous permettent de juger de la translation de la Terre, ce sont ces milliards de luminaire qui semblent se déplacer autour de nous tout d’une pièce et sans se déplacer entre eux […]. Cette admirable démonstration de chaque instant du jour n’a besoin d’être corroborée par aucune démonstration nouvelle » [10]. Raspail fait ici une confusion : si le principe de relativité galiléenne s’applique pour des systèmes en translation, il n’en est pas de même pour un système en rotation comme la Terre. Les manifestations de la rotation terrestre sont sensibles « aux habitants de la Terre », comme l’avait déjà noté Newton, observant l’effet de la rotation d’un seau sur l’eau qu’il contient [11].

D’un point de vue plus scientifique, Raspail argumente que le raisonnement de Foucault conduit à une absurdité. Pour lui, si le plan d’oscillation du pendule quitte celui du méridien, c’est qu’il se désolidarise de la Terre. Or tout système sur Terre est irrémédiablement lié à la Terre et devrait suivre son mouvement. La preuve : en se désolidarisant de la rotation de la Terre, le pendule, comme laissé en arrière mais toujours fixé au plafond, devrait osciller dans un plan de plus en plus incliné par rapport à celui du méridien, à tel point qu’il arrivera un moment où « on ne saura plus ce qui le tient ainsi écarté de la verticale et comme suspendu dans les airs » [12]. Mais pour soutenir ce raisonnement, il faudrait considérer l’existence d’une accélération dans la direction du mouvement terrestre. Ce n’est pas le cas : la force centrifuge liée à la rotation de la Terre est orientée perpendiculairement à cette direction ; et si l’on considère, que sur un temps court, la rotation de la Terre peut être assimilée à un mouvement de translation dans l’espace, celui-ci se ferait à vitesse constante (donc pas d’accélération), puisque la vitesse de rotation de la Terre est constante.

Raspail propose une explication alternative au comportement du pendule, plus simple et plus naturelle, selon lui, que celle de Foucault. La déviation vers l’ouest du plan d’oscillation ne serait pas dû à la rotation de la Terre, mais à la force engendrée sur le pendule par le champ magnétique terrestre. En effet, Raspail argumente que le processus de fabrication du câble du pendule (obtenu par écrouissage) l’aimante nécessairement. Ainsi, le pendule ne serait rien d’autre qu’une boussole (verticale), et l’on sait que le pôle nord d’une boussole pointe vers le pôle nord magnétique de la Terre. Mais en quoi cette explication permettrait d’expliquer la déviation vers l’ouest du plan du pendule observé au cours de son oscillation ? Raspail réalise l’expérience avec une aiguille d’acier suspendue à un fil de cocon (un fil de soie) et voit l’aiguille « prendre la même direction occidentale qu’une aiguille aimantée » dans une direction faisant un angle « de près de 20° à Bruxelles, et d’un peu plus de 20° à Paris » avec le plan du méridien [13]. Affirmation étrange pour l’observateur du 21ème siècle ! Depuis quand une boussole pointe-t-elle 20° à l’ouest du plan du méridien (qui contient le pôle Nord) ? Notre expérience sensible n’est-elle pas qu’une boussole indique « à peu près » le nord ? Alors quoi ? L’utilisation d’un calculateur de champ magnétique en ligne [14] permet de comprendre l’apparente contradiction. À Paris, à la date du 3 février 1851, le nord magnétique pointe à 20°33’ à l’ouest du plan du méridien, alors que le 25 février 2025, il pointe à 1°5’ vers l’est ! Car le nord magnétique dérive au cours du temps ! Nous comprenons pourquoi, pour nous, observateurs du 21ème siècle, une boussole indique simplement le Nord. Si Raspail faisait son analyse aujourd’hui, il ne pourrait pas invoquer le magnétisme terrestre pour expliquer la déviation vers l’ouest du pendule de Foucault !

Ainsi, l’idée selon laquelle dès qu’il est lancé, le pendule échappe au mouvement terrestre est hérétique pour Raspail : « par le seul fait de l’oscillation, [le pendule] est donc soustrait à l’influence de la grande loi de la gravitation qui pousse tous les corps vers le centre de la Terre. […] À quelle loi obéit-il donc ? Devient-il abandonné à lui-même, libre de toute influence terrestre, indépendant du mouvement qui entraîne des masses infiniment soit plus puissantes, soit plus légères ? » [15] Ce n’est bien sûr pas le cas ! Le mouvement du plan du pendule est la conséquence directe de l’influence de la rotation terrestre. Celle-ci donne naissance à une force inertielle, décrite en 1835 par l’ingénieur français Gaspard-Gustave Coriolis [16], qui explique par exemple les mouvements de rotation des masses d’air dans l’atmosphère des deux hémisphères, et aussi … le mouvement du pendule de Foucault ! Raspail semble avoir ignoré les travaux de Coriolis. Pour le savant républicain, que la rotation terrestre soit l’explication de la rotation du plan du pendule est chose inconcevable. Et pourtant ! Galilée lui-même n’a-t-il pas, selon le mot du philosophe Alexandre Koyré, « expliqué le réel par l’impossible » ? [17]

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Références:

[1] https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/40108

[2] « Une des plus mémorables expériences du XIXe siècle », Cosmos, revue encyclopédique hebdomadaire des progrès des sciences, 20 juillet 1855, p. 67.

[3] https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/40108

[4] « Une des plus mémorables expériences… », art. cit., p. 68.

[5] F.-V. Raspail, « La rotation de la Terre est-elle rendue sensible par les oscillations du pendule ? », Revue complémentaire des sciences appliquées, vol. 3, 1857, p. 213.

[6] https://babel.csfoy.ca/profs/rfoy/articles/foucault/index.html

[7] F.-V. Raspail, art. cit., p. 213.

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pendule_de_Foucault

[9] F.-V. Raspail, art. cit., p. 216.

[10] Id., p.216.

[11] https://babel.csfoy.ca/profs/rfoy/articles/foucault/index.html

[12] F.-V. Raspail, art. cit., p. 214.

[13] Id., p. 215.

[14] https://www.ngdc.noaa.gov/geomag/calculators/magcalc.shtml?#declination

[15] F.-V. Raspail, art. cit.

[16] https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_de_Coriolis

[17] A. Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Paris, PUF, 1966, p. 166.

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